Le Requérant est Carrefour SA, France, représenté par IP Twins, France.
Le Défendeur est Chastain Emile, Côte d’Ivoire.
Le nom de domaine litigieux <carrefour-secure.site> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Carrefour SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 janvier 2022. En date du 26 janvier 2022, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 27 janvier 2022, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 27 janvier 2022, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé une première plainte amendée le 1 février 2022. Le Requérant a déposé une deuxième plainte amendée le 3 février 2022.
Le Centre a vérifié que la plainte et les plaintes amendées répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 3 février 2022, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 février 2022. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 24 février 2022, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 2 mars 2022, le Centre nommait Benoit Van Asbroeck comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant, Carrefour SA, est une société française fondée en 1959, active dans le secteur du commerce de détail. D’après le Requérant, ses enseignes – supermarchés, hypermarchés et autres – sont présentes dans plus de 30 pays à travers le monde, dont la France et la Côte d’Ivoire.
Le Requérant est propriétaire de plusieurs marques CARREFOUR, entre autres :
- Marque internationale CARREFOUR enregistrée le 2 octobre 1968 sous le n° 351147, dans les classes internationales 1 à 34 ; et
- Marque française CARREFOUR enregistrée le 8 décembre 1989 sous le n° 1565338, dans les classes internationales 1 à 34.
Le Requérant a enregistré et exploite plusieurs noms de domaines qui comportent l’élément “carrefour”, dont <carrefour.fr> (enregistré le 23 juin 2005), <carrefour-banque.fr> (enregistré le 10 février 2009) et <carrefour.ci> (enregistré le 9 avril 2015).
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 27 septembre 2021 et son contenu est inconnu. En effet, les annexes 7 et 11 du Requérant montrent montrent des captures d’écran d’une page sans lien avec le nom de domaine litigieux. Néanmoins, le Requérant argumente que le nom de domaine litigieux est inactif. Les recherches de la Commission administrative (Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 4.8), permettent de confirmer que le nom de domaine est inactif.
Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux est similaire, au point de prêter à confusion, à certaines marques de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits. En effet, il affirme que l’incorporation de sa marque CARREFOUR dans le nom de domaine litigieux dans son intégralité suffit à établir que le nom de domaine litigieux est identique ou similaire à sa marque. De plus, il soutient que l’adjonction d’un mot générique tel que “secure” ne confère pas une signification au nom de domaine litigieux propre à écarter un risque de confusion. Le Requérant soutient du reste que l’extension générique de premier niveau “.site” ne doit pas être prise en considération lors de l’examen de cette similitude.
Le Requérant soutient également que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime. Il affirme que le Défendeur reproduit les marques CARREFOUR précitées sans licence ni autorisation, que celui-ci n’a jamais utilisé le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de biens ou services, et qu’une recherche en ligne aux fins d’identifier de potentiels ayants-droits en Côte d’Ivoire ne permet d’identifier aucun autre ayant-droit que le Requérant.
Enfin, le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Il affirme que les marques CARREFOUR précitées ont un caractère notoire, que le Défendeur en avait connaissance et a choisi d’enregistrer le nom de domaine litigieux en raison de sa similarité avec les marques CARREFOUR précitées. Pour ces raisons, il affirme que le Défendeur enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Du reste, il affirme également qu’en procédant à la rétention inactive d’un nom de domaine similaire à une marque notoire, le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
La Commission administrative constate que la deuxième plainte amendée soumise par le Requérant ne contient pas de données d’identification du Défendeur, mais uniquement la mention “Inconnu (REDACTED FOR PRIVACY) – Côte d’Ivoire (CI)”. De plus, le corps de texte affirme que “D’après la fiche WhoIs du Nom de domaine rendue disponible par le registre chargé de l’administration de l’extension sous laquelle le Nom de domaine est enregistré (à savoir Radix FZC, la base de données étant accessible à l’adresse suivante : whois.nic.site), le Défendeur est, à ce stade de la procédure, inconnu. Cependant, ladite fiche WhoIs indique que le Défendeur a déclaré une adresse en Côte d’Ivoire (CI) (Annexe 2-1)”.
Or, conformément à la pratique du Centre, l’Unité d’enregistrement a communiqué les données du titulaire du nom de domaine litigieux au Centre, qui les a ensuite transmises au Requérant par email en date du 27 janvier 2022. La Commission administrative note entre autres que l’annexe à laquelle il est renvoyé dans le corps du texte de la plainte est précisément ledit mail du Centre en date du 27 janvier 2022 contenant les données du titulaire du nom de domaine litigieux.
De plus, dans la première plainte amendée, le Requérant indique que le Défendeur est Chastain EMILE.
Par conséquent, et au vu du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission administrative pour déterminer l’identité du Défendeur lorsque le litige implique un service d’anonymisation ou d’intermédiation (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 4.4), telle que communiquée par l’Unité d’enregistrement, l’identité du Défendeur est donc Chastain EMILE, Côte d’Ivoire.
Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d’obtenir le transfert à son profit de nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que :
i) Le nom de domaine enregistré par le Défendeur “est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits”; et
ii) Le défendeur “n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache”; et
iii) Le nom de domaine “a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi”.
Au vu des éléments de preuve présentés, il est établi que le Requérant est titulaire de plusieurs marques verbales CARREFOUR.
Le nom de domaine litigieux reproduit les marques CARREFOUR, avec l’adjonction du mot “secure”. Dans des décisions précédentes, les Commissions administratives ont déjà retenu à plusieurs reprises que l’adjonction d’autres termes à la marque d’un requérant ne suffit pas à écarter un risque de confusion lorsque la marque du requérant est reconnaissable ou entièrement incorporée dans le nom de domaine (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, sections 1.7 et 1.8 ; Carrefour v. Telford Foucault, Litige OMPI No. D2019-2345 ; Carrefour SA v. Privacy service provided by Withheld for Privacy ehf / Mep Foster, Litige OMPI No. D2021-2488). En l’espèce, la marque CARREFOUR est parfaitement reconnaissable et entièrement incorporée dans le nom de domaine litigieux.
De plus, l’ajout de l’extension générique de premier niveau “.site” au nom de domaine litigieux ne constitue pas un élément de nature à éviter une similitude pouvant prêter à confusion aux fins des Principes directeurs (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.11).
Par conséquent, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, aux marques CARREFOUR du Requérant, et la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est donc satisfaite.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs dispose que la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine litigieux ou de son intérêt légitime qui s’y attache aux fins du paragraphe 4(a)(ii) peut être constituée, en particulier, par l’une des circonstances ci-après :
i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
ii) le défendeur est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services ; ou
iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Lorsque le Requérant établit prima facie que le défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, la charge de la preuve de cet élément est renversée et c’est au Défendeur d’apporter des preuves pertinentes démontrant un droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Si le Défendeur n’apporte pas de telles preuves pertinentes, le Requérant est réputé avoir satisfait au deuxième élément (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 2.1).
Le Requérant affirme que le Défendeur n’a jamais utilisé le nom de domaine litigieux, et que celui-ci est inaccessible. Cependant, les annexes fournies par le Requérant n’en apportent pas la preuve, car elles montrent des captures d’écran d’une page sans lien avec le nom de domaine litigieux.
Le Requérant soutient également que le Défendeur reproduit ses marques “sans aucune licence ou autorisation”, et que des recherches en ligne avec des paramètres de géolocalisation en Côte d’Ivoire ne montrent pas d’ayant-droit autre que le Requérant lorsque l’on cherche le terme “CARREFOUR”, c’est‑à‑dire les marques dont le Requérant est titulaire. Ces éléments non contestés par le Défendeur établissent prima facie que ce dernier n’a pas acquis de droits sur les marques CARREFOUR et n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 2.3). Selon les recherches de la Commission administrative (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 4.8), le nom de domaine litigieux est toujours inactif, ce qui confirme les arguments du Requérant.
Enfin, le Requérant avance de nombreux éléments attestant de la réputation de ses marques CARREFOUR. Au vu du caractère notoire des marques précitées du Requérant, la Commission administrative considère que le Défendeur connaissait ou aurait dû connaitre l’existence des marques du Requérant préalablement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.2.2 ; Playboy Enterprises International, Inc. v. John Hanley, Litige OMPI No. D2014-0618 ; Swarovski Aktiengesellschaft v. WhoisGuard Protected / Peter D. Person, Litige OMPI No. D2014-1447). Par conséquent, l’enregistrement et l’utilisation de ce nom de domaine litigieux sont présumés avoir eu lieu de mauvaise foi (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.1.4). Ainsi, le Requérant établit prima facie que le Défendeur aurait eu l’intention de créer une confusion entre le nom de domaine litigieux et les marques CARREFOUR du Requérant, et ainsi tromper les consommateurs.
Au vu des éléments ci-dessus, le Requérant établit prima facie l’absence de droit et d’intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur ayant renoncé à se défendre et n’ayant pas fait valoir l’existence d’un usage légitime du nom de domaine litigieux, la Commission administrative ne peut que conclure que la deuxième condition du paragraphe (4)(a) des Principes directeurs est satisfaite.
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs dispose que la preuve de ce qu’un nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée aux fins du paragraphe 4(a)(iii) en particulier dans certains cas de figure, dont le quatrième est le suivant :
(iv) en utilisant ce nom de domaine, [le défendeur a] sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne [lui] appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de [son] site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
Sur base de ces dispositions, les commissions administratives ont déjà retenu à plusieurs reprises que le simple enregistrement d’un nom de domaine identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque notoire ou largement connue par une entité non affiliée peut suffire à créer une présomption de mauvaise foi (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, sections 3.1.4).
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 27 septembre 2021, ce qui est nettement postérieur à l’enregistrement des marques CARREFOUR du Requérant en 1968 et 1989. Le caractère notoire des marques CARREFOUR du Requérant est établi à suffisance par les éléments de preuve présentés par le Requérant, notamment les nombreuses décisions de Commissions administratives en ce sens, y compris contre des défendeurs domiciliés en Côte d’Ivoire (Carrefour contre Raoul Adja, Litige OMPI No. D2020-1806). Par conséquent, et au vu de la similarité entre les marques CARREFOUR précitées et le nom de domaine litigieux, la mauvaise foi dans le chef du défendeur tant lors de l’enregistrement que lors de l’utilisation du nom de domaine litigieux doit être présumée (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, sections 3.1.4).
De plus, il apparait que le site associé au nom de domaine litigieux est toujours inactif. Ainsi, la Commission administrative considère que le Défendeur a procédé à une rétention inactive (passive holding) du nom de domaine litigieux. En présence d’autres circonstances pertinentes telles que (i) le degré de caractère distinctif des marques du Requérant, (ii), l’absence de réponse du Défendeur, et (iii) l’utilisation d’un service d’anonymisation, la Commission administrative considère que ces éléments sont également constitutifs de mauvaise foi (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.3).
Pour les raisons énoncées ci-dessus et en l’absence d’arguments contraires soulevés par le Défendeur, la Commission administrative considère que la double condition d’enregistrement et d’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux posée par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est satisfaite.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <carrefour-secure.site> soit transféré au Requérant.
Benoit Van Asbroeck
Expert Unique
Le 16 mars 2022
Stay updated! Get new cases and decisions by daily email.