Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DECISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Gueydon SA-Logitoys c/ Fremy
Dossier n° D2000-1486
1. Les parties
Le requérant est la Société GUEYDON SA/LOGITOYS EURL (filiales du Groupe DISTRITOYS), au capital de 200 000 Francs, Immatriculée au R.C.S. de Grenoble sous le n° B 351 996 079, N° SIRET : 351 996 079 00015, sise BP197 38505 VOIRON Cedex, Numéro de téléphone : +33 4 76 67 92 00, Numéro de télécopieur: +33 4 76 67 37 61, Adresse électronique: [email protected], ci-aprčs "Le requérant".
Représentée par:
Mr Ludovic PONT-COUESLANT et Mr Mickael GUILBAUD de la Société CVFM-SOS domaines, 32 rue de Paradis, 75010 PARIS France;
Le défendeur est Mr FREMY Elphčge, 14, rue Greuze 75116 Paris, ci-aprčs "Le défendeur";
Représenté par Mr le Bâtonnier Guy DANET, 17, rue de Prony 75017 Paris, 01 47 66 21 03, 01 42 27 21 55, [email protected].
2. Nom(s) de domaine et unité(s) d’enregistrement
Le litige porte sur le ou les noms de domaine suivants:
- <jouetonline.com>
- <jouetsonline.com>
L’unité d’enregistrement auprčs desquelles le ou les noms de domaine sont enregistrés est: Network Solutions Incorporation, 505 Huntmar Park Drive, Herndon VA 20170, USA.
Le statut du nom de domaine est qualifié d'"active".
3. Rappel de la procédure
Le 31 octobre 2000, la plainte a été reçue par courrier électronique au centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI, ci-aprčs "le Centre";
Le 6 novembre 2000, la plainte a été reçue par courrier;
Le 1er décembre 2000, le Centre recevait la réponse de l'unité d'enregistrement;
Le 14 décembre, 2000 la notification de la plainte était faite au défendeur et la procédure administrative ouverte;
Du 15 au 20 décembre 2000 des courriers électroniques ont été échangés entre requérant et défendeur;
Le 15 janvier 2001 la réponse du défendeur a été communiquée dans le délai indiqué dans la notification de plainte et la procédure administrative a été ouverte;
Le 29 janvier 2001, le Centre accusait réception de ladite réponse;
Conformément aux Rčgles d’application des principes directeurs régissant le rčglement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci aprčs "les Rčgles") le Centre a alors procédé ŕ la nomination de la commission administrative et le 14 mars, 2001, et notifié la nomination de trois experts, savoir, Alain Bensoussan, Benoît Van Asbroeck et Xavier Linant de Bellefonds (Président) qui ont dűment fait parvenir leur déclaration d’acceptation et leur déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Rčgles.
4. Les faits
Le demandeur, les sociétés GUEYDON S.A. & LOGITOYS, filiales du Groupe DISTRITOYS, l’un des leaders Européens de la distribution de jouets, exploite depuis novembre 1999 un site de vente de jouets en ligne dénommé <jouet-online.com>.
Il a, ŕ cet effet, enregistré le nom de domaine <jouet-online.com> le 29 juillet 1999 auprčs du Registrar Network Solutions et consacré un budget d’un million de Francs Français ŕ la constitution du site, activé totalement le 25 novembre 1999. Le chiffre d’affaires généré par le site avoisinera les 10 000 000 de Francs Français ŕ la fin de l’année 2000.
La marque semi-figurative JOUET ONLINE a été déposée le 31 janvier 2000 auprčs de l’I.N.P.I. français au nom de la société GUEYDON S.A. sous le n° 00 3005198, en classes 9,28 et 38 (pičce n° 2), pour les produits et services suivants: "Cederom, appareils de jeux, jeux vidéo, jeux et jouets, communications par terminaux d’ordinateur, télécommunications…".
La marque précitée est exploitée par les sociétés requérantes pour l’ensemble des produits et services visés ŕ l’acte de dépôt, et notamment ŕ travers le site actif <jouet-online.com>.
De son côté Monsieur Fremy Elphege a fait enregistrer, le 1er décembre 1999, les noms de domaine suivants: <jouetonline.com> et <jouetsonline.com> auprčs du Registrar Network Solutions.
5. Demandes et Argumentation des parties
5.1 Requérant
Le requérant allčgue que:
1) les noms de domaine sont semblables, au point de pręter ŕ confusion, ŕ une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;
2) le défendeur n’a aucun droit sur le ou les noms de domaine ni aucun intéręt légitime qui s’y attache;
3) le ou les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.
Selon le requérant, l’enregistrement des noms de domaine <jouetonline.com> et <jouetsonline.com> est abusif dans la mesure où aucune exploitation concrčte du nom ŕ travers le simple dépôt n'est décelable. En effet, la démarche ne révčle pas une intention d’exploitation claire: le contact administratif et le "registrant" ne sont pas différents, tout comme un nom de société qui devrait a priori ętre donné ŕ la place du Registrant, détail permettant de caractériser l’intention d’exploitation commerciale ŕ travers un nom puis un site actif. En outre, l’absence de contact technique particulier, l’absence de serveurs propres ou délégués ŕ un autre prestataire, l’adresse e-mail fantaisiste du titulaire prouveraient également qu’aucune réelle intention d’exploitation d’un site ŕ travers un droit supposé de propriété industrielle n’existe. Il s’agit d’une donc simple réservation abusive, dont l’utilisation projetée reste ŕ prouver.
Pour le requérant, Monsieur Fremy Elphege a enregistré les noms de domaine <jouetonline.com> et <jouetsonline.com> essentiellement dans le but de vendre ces noms, soit de mauvaise foi.
En conséquence de quoi le requérant demande ŕ la commission administrative constituée dans le cadre de la présente procédure de rendre, conformément au paragraphe 4.b)i) des principes directeurs, une décision ordonnant que les noms de domaine <jouetonline.com> et <jouetsonline.com> soient transférés ŕ son profit.
5.2 Défendeur
Le défendeur allčgue que le requérant ne prouve pas:
- que les noms de domaines n’étaient pas libres puisque le dépôt des marques était ultérieur;
- qu'il a n'a pas un intéręt légitime sur lesdits noms de domaine;
- qu'il 'a agi de mauvaise foi;
- que c'est au contraire le requérant qui a agi de mauvaise foi en lui tendant un pičge.
Par conséquent, les conditions d'un transfert ne se trouvant pas réunies et la mauvaise foi étant du côté du requérant et non pas du défendeur, ce dernier demande ŕ la commission administrative non seulement d'écarter les demandes du requérant mais que soit constatée "la recapture illicite de nom de domaine".
6. Discussion et conclusions
La commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera strictement ŕ l'application des rčgles de la procédure UDRP telles qu'arrętées le 24 octobre 1999.
Il en résulte qu'elle ne saurait avoir pour mission de trancher un conflit de propriété intellectuelle au regard du droit français des marques, non plus que de tirer quelque conséquence de droit que ce soit des propos prétendus injurieux ou diffamatoires échangés par les parties, mais uniquement de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Rčgles sont cumulativement réunies.
En vertu du paragraphe 4.a) des principes directeurs de l’ICANN, la procédure administrative n’est applicable qu’en ce qui concerne un litige relatif ŕ une accusation d’enregistrement abusif d’un nom de domaine sur la base des critčres suivants:
1) le nom de domaine enregistré par le détenteur est identique ou semblable au point de pręter ŕ confusion ŕ une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant (la personne physique ou morale qui dépose la plainte) a des droits;
2) le détenteur du nom de domaine n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intéręt légitime qui s’y attache;
3) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
6.1 Le nom de domaine enregistré par le détenteur est-il identique ou semblable au point de pręter ŕ confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits?
La similitude entre <jouet Online et <jouet(s)online est difficilement contestable: les termes comme les notions évoquées et l'activité suggérée coïncident de façon presque parfaite. La confusion pour l'utilisateur des réseaux est donc fortement plausible. Sur ce plan la contre-démonstration du défendeur n'est pas convaincante.
Pour autant le requérant a-t-il des droits sur une marque de produits ou de service? En fait le requérant a deux formes de droits:
a) un droit antérieur ŕ l'enregistrement du défendeur sur le nom de domaine <Jouetsonline> enregistré par lui en juillet 1999 soit antérieurement aux Rčgles ICANN;
b) un droit postérieur ŕ l'enregistrement du défendeur sur une marque déposée ŕ l'INPI.
Le droit antérieur du requérant sur le nom de domaine doit ętre considéré comme une application factuelle des droits acquis en vertu du principe "premier arrivé, premier servi", seule rčgle de référence avant l'arrivée des rčgles UDRP;
De façon sans doute volontaire, les rčgles ICANN ne visent pas explicitement les "marques antérieures" seules ; le respect d'une marque antérieure pouvant aisément ętre organisé dans le cadre des droits nationaux, il n'est pas douteux que les rčgles ICANN perdraient une partie de leur intéręt;
La traduction française des rčgles ICANN n'a pas de valeur conventionnelle; or le texte anglais parle de " trademark or service mark" et pas seulement de "trademarks" : la stricte référence au droit des marques (au demeurant quel droit prendre en considération?) doit laisser place au concept plus général de "signe distinctif", comme invite ŕ le faire l'expression "service mark".
Pour ces trois raisons, il a semblé ŕ la commission administrative qu'il faut répondre par l'affirmative ŕ la question numéro 1.
6.2 Le défenseur est-il dépourvu de droit sur le nom de domaine ou d'un intéręt légitime qui s’y attache?
Le seul droit que le défendeur ait sur le nom de domaine est celui de son propre enregistrement: il ne s'agit pas d'un droit de nature privative, intellectuelle ou industrielle, patronymique ou traditionnelle susceptible d'ętre mis en regard de la rčgle "premier arrivé premier servi"; pas davantage il ne s'agit d'un droit au nom commercial ; comparé ŕ l'enregistrement antérieur ce droit est vidé de sa substance;
En outre, le requérant rapporte la preuve que le défenseur n'a pas un intéręt légitime ŕ utiliser ce nom de domaine, car l'utilisation dudit nom de domaine est largement factice. Pour cette raison, il a semblé ŕ la commission administrative qu'il faut répondre par l'affirmative ŕ la question numéro 2.
6.3 Le nom de domaine a-t-il été enregistré et utilisé de mauvaise foi?
Les échanges de courrier électroniques entre les parties sont chargés d'acrimonie et la démarche utilisée par le requérant, visant ŕ faire tomber le défendeur dans le pičge de la proposition commerciale de revente ne permettent pas de répondre ŕ cette question sans rechercher une des cause de mauvaise foi telles qu'elles sont énoncées dans les rčgles ICANN elles-męmes:
- enregistrement dans un but de revente;
- enregistrement dans un but de blocage;
- enregistrement dans le but de désorganiser l'activité du concurrent;
- enregistrement aux fins de provoquer une confusion.
Il est apparu, aprčs examen, aux membres de la commission administrative que le comportement du défendeur ne correspondait ŕ aucune des circonstances visées au 4)c)IV) des Rčgles.
En conséquence la commission administrative répond par la négative ŕ la question 3.
7. Décision
Sur ce, aprčs en avoir dűment délibéré, constatant que les trois conditions requises pour un ordre de transfert ne sont pas cumulativement remplies, la commission administrative prend la décision de rejeter la demande du requérant et de maintenir les noms de domaine du défendeur.
En revanche, il estime qu'il n'entre pas dans sa mission de constater une quelconque capture illicite de nom de domaine au préjudice du défendeur.
